Ton regard est-il mauvais parce que moi je suis bon ?
Posté par diaconos le 22 août 2022
De l’Évangile de Jésus Christ selon Matthieu
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « Le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée : un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent, et il les envoya à sa vigne. Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire. Et à ceux-là, il dit : “Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste.” Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même.
Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : “Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire ?” Ils lui répondirent : “Parce que personne ne nous a embauchés.” Il leur dit : “Allez à ma vigne, vous aussi.” Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant : “Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.” Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’un denier. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier.
En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine : “Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et de la chaleur !” Mais le maître répondit à l’un d’entre eux : “Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ? Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ?” C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers. » (Mt 20, 1-16)
Appel au travail dans le vignoble
Dans l’antiquité, la plupart des gens vivait chichement et un salaire ne devait pas nourrir une famille bien nombreuse. D’où l’importance du clientélisme et de la sportule quotidienne. Comme il n’y avait pas de demi-mesure, un sénateur, lui, roulait sur l’or. Pour être sénateur, il fallait déclarer un patrimoine d’un million de sesterces par an, soit 760 000 euros. On voit tout de suite la différence. La journée d’un ouvrier valait un denier. Une journée de travail à Rome, pour tous, allait de l’aube à midi et, vu le nombre de jours fériés, un ouvrier romain travaillait environ 250 jours par an. Un ouvrier devait donc vivre un an avec à peu près 250 deniers (760 euros)
La journée, chez les Juifs, commençait à six heures du matin ; ainsi leur troisième heure correspondait à neuf heures. La place était le lieu public où s’assemblait le peuple et où les ouvriers cherchaient à se louer. Dans le sens littéral de la parabole, ces ouvriers étaient là réellement sans rien faire, oisifs. Dans la vie, on peut l’être aussi au milieu même de la plus grande activité, si ce travail reste sans aucun rapport avec le règne de Dieu. Ils y allèrent sans autres conditions, confiants dans la parole du maître. À midi et à trois heures, il renouvela ses invitations. Vers la onzième heure, cinq heures du soir, tout près de la fin de la journée, il y avait encore des ouvriers qui se tenaient là, sans rien faire, ayant perdu presque toute la journée.
Ce n’était donc pas leur faute. Combien de milliers d’hommes vivent, en pleine chrétienté, sans avoir jamais entendu l’appel de l’Évangile ? Aussi ces ouvriers furent encore invités à travailler dans le vignoble, après la dernière heure du jour. Commencer par les derniers, ce fut déjà manifester la grande pensée de toute la parabole : dans le règne de Dieu, tout est grâce. Tout dans ces paroles trahit un mauvais esprit, et envers le maître et à l’égard des compagnons de service : le mot ceux-là a quelque chose de méprisant.
Les plaignants n’admirent pas même que ceux-ci travaillèrent, mais seulement employé une heure. Enfin leurs murmures s’adressèrent directement au maître. Ces hommes eurent une singulière ressemblance avec le fils aîné de la parabole de l’enfant prodigue : « Mais il répondit à son père: Voici, il y a tant d’années que je te sers, sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour que je me réjouisse avec mes amis. Et quand ton fils est arrivé, celui qui a mangé ton bien avec des prostituées, c’est pour lui que tu as tué le veau gras ! » (Lc 15, 29-30)
Ces travailleurs se placèrent sur le terrain du droit. Ils furent convenus avec le maître, qui le leur rappela d’une manière significative, ils vinrent de faire valoir la différence entre leur travail et le travail des ouvriers de la onzième heure, toujours pour établir leur droit à recevoir davantage, or la réponse du maître, tout entière fondée sur ce même droit fut, à cet égard, sans réplique : « Aucun tort, tu es convenu, ce qui est à toi. » Il y eut même de la sévérité dans le mot va-t’en. Le terme d’ami, ou compagnon, n’exprime ni affection ni rigueur.
Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers : Cette sentence solennellement répétée présente le résumé et le sens profond de toute la parabole. Pierre, en rappelant qu’il quitta tout pour suivre Jésus, s’enquit d’une récompense. Il cédai ainsi à un sentiment faux et dangereux, celui de la propre justice. Jésus lui fit une réponse encourageante, parce qu’au fond Pierre fut sincère et plein d’amour pour son Maître ; mais il ajouta à cette réponse un sérieux avertissement qu’il voulut rendre plus impressif par le récit dramatique qui suit.
Combien il est saisissant ! Le maître qui appelle des ouvriers, c’est Dieu, qui a un droit absolu sur eux et qui leur fait une grâce immense en les appelant. En effet la vigne où il les envoie, c’est son beau règne de vérité, de justice et de paix. Les ouvriers qui ont le privilège d’y travailler ne sont pas seulement des docteurs ou pasteurs, mais tous ceux qui entendent l’appel et s’y rendent. Les différentes heures du jour sont les divers âges de la vie humaine ou les époques de l’histoire du règne de Dieu.
Le travail, ce sont toutes les œuvres qui ont pour objet le bien des hommes, l’avancement du règne de Dieu. Le soir, c’est la fin de la vie ou la fin de l’économie présente, le retour de Christ, le divin intendant qui préside à la rétribution. Le denier, enfin, c’est le salut, la vie éternelle, qui, parce qu’elle est d’une valeur infinie et sans proportion avec le travail des ouvriers, ne peut être qu’une grâce. Dans ce sens, il y a égalité entre tous, mais voici la différence : le denier peut avoir une valeur infiniment diverse selon la disposition intérieure de ceux qui le reçoivent, c’est-à-dire selon leur capacité morale de jouir de la vie du ciel.
Là ceux qui furent les premiers au travail purent être les derniers. Et même, bien que Jésus ne les rejeta pas, puisqu’il leur accorda le denier stipule, ils furent en danger de s’exclure eux-mêmes, selon que les sentiments qu’ils manifestèrent dans la parabole viendraient à prévaloir. Ceux au contraire qui comprirent que, dans le règne de Dieu, tout est grâce, l’appel, le travail, la récompense, et qui se confièrent à la parole de Jésus purent être les premiers, bien qu’ils furent les derniers au travail.
Les exégètes qui, se fondant sur C, D, l’Itala et la Syriaque, admirent ces paroles comme authentiques ne savent trop qu’en faire dans l’interprétation. Meyer leur fit signifier que parmi ceux qui sont dans le royaume de Dieu, il en est peu qui soient choisis pour y être les premiers ce qui veut dire qu’il y aurait des élus parmi les élus ! Beaucoup plutôt pourrait-on penser, si cette sentence est authentique, que Jésus voulut faire sentir, à ceux qui déjà furent les derniers par leur faute, le danger de se voir finalement rejetés.
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