
Homme charismatique, prônant le dépouillement extrême, fondateur des premiers monastères d’Occident, évêque évangélisateur & guérisseur
Martin fut certainement une personnalité hors du commun. Il est aussi le premier saint de cette nouvelle ère de l’Empire devenu chrétien.
Biographie de Saint Martin
Sa biographie provient essentiellement de la Vita sancti Martini écrite en 396-397 par Sulpice Sévère, récit qui devint aussitôt et pour de longs siècles un archétype admiré et souvent imité de l’hagiographie occidentale. Puis Sulpice ajouta des lettres, en particulier pour évoquer la mort de Martin, et un autre livre, le Gallus ou Dialogues sur les vertus de Martin, recueil de miracles accomplis par le saint. Elle contient des éléments éminemment historiques. Aux cinquième et sixième siècles Paulin de Périgueux et Venance Portunat augmentèrent la gloire de la geste martinienne en écrivant à leur tour une Vita sancti Martini en vers, Grégoire de Tours relatant les débuts de son culte dans son livre De virtutibus sancti Martini (Miracles de saint Martin).
Selon l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours, Martin naquit en l’an 316 en Pannomie, dans la cité de Sabaria, l’actuelle ville de Szombathely, en Hongrie. Par contre, selon Sulpice Sévère, il serait né en 336 : l’hagiographe introduisit une date plus tardive pour réduire la durée du service militaire de Martin, une longue carrière dans l’armée interdisant d’accéder à une haute fonction ecclésiastique et étant peu compatible avec la volonté de son biographe de le présenter comme un exemplum. Son père était un tribun militaire de l’empire romain, c’est-à-dire un officier supérieur chargé de l’administration de l’armée. Ce ne fut pas un hasard si le nom de Martin signifie « voué à Mars. Mars étant le dieu de la guerre à Rome. Martin suivit son père à Pavie en Italie du Nord. lorsque ce dernier y fut muté. À l’école,
Martin y fut en contact avec des chrétiens en cette époque marquée par le développement du christianisme. Vers l’âge de dix ans, il voulut se convertir à cette religion, car il se sentit attiré par le service du Christ. En tant que fils de magistrat militaire, Martin suivit son père au gré des affectations de garnison ; il fut héréditairement lié à la carrière de son père, voué au culte impérial. Son père fut irrité de voir son fils tourné vers une foi nouvelle : alors que l’âge légal de l’enrôlement fut de dix-sept ans, il força son fils de quinze ans à entrer dans l’armée. Martin se laissa convaincre pour ne pas nuire à la position sociale de ses parents, tant sa vocation chrétienne fut puissante.
Ce ne fut pas comme simple soldat que Martin entra dans l’armée romaine : en tant que fils de vétéran, il reçut le grade de circitor avec une double solde. Le circitor était chargé de mener la ronde de nuit et d’inspecter les postes de garde de la garnison. Le jeune homme posséda à l’époque un esclave, il le traita comme son propre frère. Affecté en Gaule , à Amiens, un soir de l’hiver 334, le légionnaire Martin partagea son manteau militaire (chlamyde) fait d’une pièce de laine rectangulaire) avec un déshérité transi de froid, car il n’avait déjà plus de solde après avoir généreusement distribué son argent. Il trancha son manteau ou tout du moins la doublure de sa pelisse : le manteau appartenait à l’armée, mais chaque soldat pouvait le doubler à l’intérieur par un tissu ou une fourrure, à ses frais.
La nuit suivante Jésus lui apparut en songe vêtu de ce même pan de manteau. Il avait alors 18 ans. Le reste de son manteau, appelé « cape » fut placé plus tard, à la vénération des fidèles, dans une pièce dont le nom est à l’origine du mot chapelle (cappella en italien, chapel en anglais, Kapelle en allemand). Ce fut aussi le temps où les grandes invasions germaniques se préparèrent ; les Barbares étant aux portes de l’empire ; depuis longtemps déjà les milices auxiliaires des légions furent composées de mercenaires d’origine germanique. En mars 354, Martin participa à la campagne sur le Rhin contre les Alamans à Civitas Vangionum en Rhénanie ; ses convictions religieuses lui interdirent de verser le sang et il refusa de se battre. Pour prouver qu’il ne fut pas un lâche et qu’il crut à la providence et à la protection divine, il proposa de servir de bouclier humain. Il fut enchaîné et exposé à l’ennemi mais, pour une raison inexpliquée, les barbares demandèrent la paix.
Selon Sulpice-Sévère, Martin servit encore deux années dans l’armée, une unité d’élite de la garde impériale dont il fut membre pendant 20 années ; cela porterait la durée totale de son service à 25 ans, durée légale dans les corps auxiliaires de l’armée romaine, puis il se fit baptiser à Pâques toujours en garnison à Amiens ; cette époque fut un temps de transition, la fin d’un règne et le début d’un autre règne où tous, même les soldats, furent par les idées nouvelles. En 356, ayant pu quitter l’armée il se rendit à Poitiers pour rejoindre Hilaire, évêque de la ville depuis 350. Hilaire avait le même âge que lui et appartint comme lui à l’aristocratie, mais il devint chrétien tardivement et il fut moins tourné vers la mystification et plus intellectuel ; l’homme lui a plu cependant et il décida de se joindre à lui.
Son statut d’ancien homme de guerre empêcha Martin de devenir prêtre : aussi, il refusa la fonction de diacre que lui proposa l’évêque Martin, tel les prophètes thaumaturges Élie et Élisée, se vit attribuer un pouvoir de thaumaturge — il ressuscita un mort et opéra de nombreuses guérisons — doublé de celui d’un exorciste. Au cours du même voyage, il rencontra le Diable. Dans la région des Alpes, il fut un jour attaqué par des brigands. L’un des voleurs lui demanda s’il avait peur. Martin lui répondit qu’il n’eut jamais eu autant de courage et qu’il plaignit les brigands. Il se mit à leur expliquer l’Évangile. Les voleurs le délivrèrent et l’un d’eux demanda à Martin de prier pour lui. .
La chrétienté était déchirée par des courants de pensée qui se combattirent violemment et physiquement ; les ariens étaient les disciples d’un prêtre, Arius, qui nia que le Christ fut Dieu, fils de Dieu au contraire des trinitaires de l’Église Orthodoxe ; à cette époque les ariens furent très influents auprès du pouvoir politique. Alors qu’Hilaire, un trinitaire, victime de ses ennemis politiques et religieux, tomba en disgrâce et fut exilé, Martin fut averti en songe qu’il devais rejoindre ses parents en Illyre afin de les convertir. Il réussit à convertir sa mère mais son père resta étranger à sa foi, cette position fut tactique, le père essayant de défendre son statut social privilégié.
En 371 à Tours, l’évêque en place Lidoire mourut. : ; les habitants voulurent choisir Martin mais celui-ci choisit une autre voie et n’aspira pas à l’épiscopat. Les habitants l’enlevèrent donc et le proclamèrent évêque le quatre juillet 371 sans son consentement ; Martin se soumit en pensant qu’il s’agissait là sans aucun doute de la volonté divine (un cas identique de contrainte face à un non consentement se reproduisit en 435 pour Eucher de Lyon. Les autres évêques ne l’aimèrent pas beaucoup car il avait un aspect pitoyable dû aux mortifications et aux privations excessives qu’il s’infligea, il portait des vêtements rustiques et grossiers.
Désormais, même s’il fut évêque, il ne modifia pas sa manière de vivre. Il créa un nouvel ermitage à trois kilomètres au nord-est des murs de la ville : c e fut l’origine de Marmoutier avec pour règle la pauvreté, la mortification et la prière. Les moines durent se vêtir d’étoffes grossières sur le modèle de Saint Jean-Baptiste qui était habillé de poil de chameau. Ils copièrent des manuscrits, pêchèrent dans la Loire ; leur vie fut de la vie des premiers apôtres, jusqu’aux grottes qui abritèrent dans les coteaux de la Loire des habitations troglodytes où s’isolèrent des moines ermites.Le monastère était construit en bois ; Martin vécut dans une cabane de bois dans laquelle il repoussa les apparitions diaboliques et conversa avec les anges et les saints. : ce fut une vie faite d’un courage viril et militaire que Martin imposa à sa communauté.
Tout ce monde voyageait à travers les campagnes à pied, à dos d’âne et par la Loire ; car Martin fut toujours escorté de ses moines et disciples, en grande partie pour des raisons de sécurité car il ne manquait pas de voyager très loin de Tours. Ailleurs l’autorité de l’évêque était limitée à l’enceinte de la cité, avec Martin elle sortit des murs et pénétra profondément à l’intérieur des terres. Martin sembla avoir largement sillonné le territoire de la Gaule ; là où il ne pu aller, il envoyait ses moines. À cette époque, les campagnes étaient païennes., il les parcourut faisant détruire temples et idoles. Il fit par exemple abattre un pin sacré.
Il prêcha avec efficacité les paysans, forçant le respect par l’exemple et le refus de la violence. Il prêcha par la parole et par sa force, il sut parler aux petits et il utilisa la psychologie par sa connaissance des réalités quotidiennes et l’utilisation de paraboles simples que le petit peuple comprit, tel que le Christ le fit : ainsi il dit d’une brebis tondue qu’elle accomplit le précepte de l’évangile basé sur le partage. Il remplaça les sanctuaires païens par des églises et des ermitages et, comprenant fort bien l’homme de la campagne et ses besoins, il se donna les moyens de le convertir alors que la foi chrétienne fut encore essentiellement urbaine. D’après Grégoire de Tours, il fonda les paroisses de langey, de Sonnay, d’Amboise, Langey, de Sonney, de Charnisay, de Tournon et de Candes.
Marmoutier sevit de centre de formation pour l’évangélisation et la colonisation spirituelle des campagnes ; c’e fut pour l’essentiel la première base de propagation du christianisme en Gaule. Martin de Tours fut présent à Trèves lorsque les évêques D’Espagne Hydace et Ithase demandèrent à l’empereur Maxime la condamnation de Priscillien. Celui-ci fut condamné au chef de magie. Rejoint par Ambroise de Milan, délégué par le jeune empereur, Valentinien III, Martin demanda la grâce pour Priscillien. Bien qu’Ambroise, menacé de mort par l’empereur, ne le soutienne pas, Martin obtint que les disciples de Priscillien ne fussent pas poursuivis. Le pape Sirice s’éleva contre les procédés de Maxime.
Par la suite, Martin de Tours refusa toujours de participer aux assemblées épiscopales, ce qui, avec ses efforts pour sauver de la mort Priscillien, le fit suspecter d’hérésie. L’empereur Théodose premier déclara nulles les décisions de Maxime dans cette affaire ; Ithace fut déposé quelques années plus tard et Hydace démissionna de lui-même de sa charge. Marmoutier comptait 80 frères vivant en communauté, issus pour la plupart de l’aristocratie ce qui permit à Martin de jouir d’une grande influence et de se faire recevoir par les empereurs eux-mêmes. Il exista désormais une complicité entre les empereurs et les évêques, entre le pouvoir de la nouvelle foi et le pouvoir politique. Mais cela n’empêcha pas Martin, à la table de l’empereur, de servir en premier le prêtre qui l’accompagnait et d’expliquer que le sacerdoce fut plus éminent que la pourpre impériale.
Un jour, voyant des oiseaux pêcheurs se disputer des poissons, il expliqua à ses disciples que les démons se disputent de la même manière les âmes des chrétiens. Et les oiseaux prirent ainsi le nom de l’évêque ; ce sont le marins-pêcheurs.
L’importance historique de Martin de Tours tient surtout au fait qu’il a créé les premiers monastères en Gaule et qu’il a formé des clercs par la voie monastique. D’abord admiré par ses amis qui l’ont pris pour modèle (Sulpice Sévère, Paulin de Nole), son culte a été instauré par ses successeurs au trône épiscopal de Tours, qui ont su faire de leur basilique un sanctuaire de pèlerinage. La place prise par le culte de Martin dans la liturgie et la littérature pieuse est surtout due à l’action de Perpetuus († vers 490), avec un Indiculus des miracles qu’il fit versifier par Paulin de Périgueux et de Grégoire de Tours († 594), qui de même dressa une liste des miracles qu’il fit mettre en vers par Venance Fortunat.
Dès le cinquième siècle, Tours était le premier lieu de pèlerinage des Gaules romaines ; le choix de Martin de Tours comme saint patron du royaume des Francs et de la dynastie des Mérovingiens se fit sous Clovis et en fit un des premiers saints confesseurs, l’ascèse et le service de l’Église étant jugés aussi méritoires que l’effusion de sang des martyrs. Tours resta par la suite un foyer spirituel important. À l’époque carolingienne, Alcuin, conseiller de Charlemagne, fut nommé abbé de Saint Martin de Tours et de Cormery. Ces abbayes furent des foyers importants de la renaissance carolingienne aux alentours de l’an 800. La cathédrale de Mayence, au cœur de la Germanie franque, fut également dédiée à saint Martin.
La cape de saint Martin de Tours, qui fut envoyée comme relique à la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle pour Charlemagne, fut à l’origine du mot « chapelle ». L’iconographie représente le plus souvent une cape rouge, Martin, revêtu de chlamyde blanche que portait tout cavalier de la garde impériale. Cette cape serait aussi à l’origine du mot «Capet », nom de la dynastie des rois de France : Francs capétiens. Ainsi, du royaume d’Austrasie jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, saint Martin resta le symbole de l’unité franque . Martin est le patronyme le plus fréquent en France, où 246 communes portent son nom et plus de 3 700 églises sont placées sous son vocable ; son nom de baptême est devenu le nom de famille le plus fréquent de France.
Une communauté de prêtres et de diacres séculiers, la Communauté Saint Martin, fondée en 1976 et présente principalement en France, s’est placée sous son patronage. Au soir de sa vie, sa présence fut requise pour réconcilier des clercs à Candes-ssur-Loire, à l’ouest de Tours ; l’urgence de l’unité de l’Église fit que malgré sa vieillesse, il décida de s’y rendre. Son intervention fut couronnée de succès, mais, le lendemain, épuisé par cette vie de soldat du Christ, Martin mourut à Candes, à la fin de l’automne, le 8 novembre 397 sur un lit de cendres comme mouraient les saints hommes ; disputée entre Poitevins et Tourangeaux, sa dépouille fut enlevée par ces derniers qui, selon la tradition locale, volèrent son corps en le passant par une fenêtre.
Ils le ramenèrent en gabarre sur la Loire jusqu’à Tours, où il fut enterré le 11 novembre dans le cimetière chrétien extérieur à la ville après une halte en un lieu où fut plus tard construite la chapelle du Petit -Saint-Martin. Son tombeau devient dès lors un lieu de pèlerinage couru de tout le pays. Selon Grégoire de Tours, l’évêque Brictius fitt construire en 437 un édifice en bois pour abriter le tombeau et la chape de Martin, appelé pour cette raison chapelle. Constatant le rayonnement de ce sanctuaire, l’évêque Perpétuus fit construire à la place la première basilique Saint Martin hébergeant le tombeau de Martin, dont la dédicace a lieu le 4 juillet.
Diacre Michel Houyoux
♥ film Saint Martin, aux origines de la France (documentaire)
